Nitronium, c'est une beauté sauvage. Avoir l'opportunité de créer un avatar qui la met en avant ? Elle n'allait pas se retenir. Obsédée par la minceur, ses formes sont longilignes, des courbes sans accroc. Un peu de poitrine, mais pas trop. Car s'il y a bien un truc qui dégoûte Nitronium, ce sont les demoiselles qui compensent leur attributs mammaires réels, en se foutant des bonnets F. Comment est-ce même possible de courir avec des pareils obus ?
Des cheveux roux, qui tirent vers un rouge sang. Bon, ok, là, ça fait pas trop réaliste. Surtout que comme par magie, un joli dégradé les fait devenir blonds platine à la pointe. Une gueule d'ange aussi. Dans le genre « regardez-moi, je suis mignonne et fragile » et puis BIM, sortie de nulle part, elle vous balance ses pokémons trop trash. Vous ne l'aviez pas prévue celle-là, hein ?
Elle s'est inspirée des modèles polonais pour constituer son avatar personnel. On le remarque par la couleur des ses yeux, la couleur de sa peau, et les traits de son visage.

Elle a choisi une garde-robe chic et élégante. Des tons pâles et des tons sombres. Elle aime mêler le cuir avec des t-shirts déchirés, aux textures métallisées, brillantes, clinquantes. Elle est prête à jouer ses personnage. En passant par la jeune fille fragile, jusqu'à la rockeuse farouche. Elle n'a peur de rien. Elle se glisse dans ses vêtements, comme si elle s'habillait d'un nouveau rôle à chaque fois.

Nitronium n'est pas gentille. Elle n'est pas enfantine, sucrée, adorable. Elle n'est pas non plus une poupée barbie prétentieuse ou superficielle, manipulatrice. Elle n'en a rien à faire des gens. Ne vous attendez pas à croiser la fille coincée de base, qui juge les gens en les regardant des pieds à la tête. Nitronium est juste très élitiste. Elle choisit avec énormément de contraintes ses fréquentations. Elle est organisée, maniaque, perfectionniste. Elle aime le fait que lorsqu'on lui confie un pokémon, elle le fasse jusqu'au bout. C'est une vraie acharnée. Et elle aime ce qu'elle fait.

Alors oui, elle est assez maniérée. Elle est vénale aussi, accro au pouvoir, donnez-lui en un peu, et ça lui montera vite à la tête. Elle deviendra une sorte de dictatrice insupportable. Elle aime dire qu'elle fréquente des joueurs talentueux, ou des champions. Elle aime s'inventer qu'elle fait partie d'un coin VIP très prisé. Tout cela parce que plus on l'envie, et plus elle est heureuse. Elle vit pour cette reconnaissance, pour cette affection, à laquelle elle ne rendra rien. Elle bat des cils pour ceux qui pourraient la faire gravir les échelons, et regardent avec dédain tous ceux qu'elle a déjà surpassé. C'est une vipère, qui a de l'ambition, qui manie les cartes, qui bluffe, qui ment. Elle joue, elle aime ça. Elle ne conçoit même pas arrêter. Faites la tomber, et elle pleurnichera. Capricieuse qu'elle est. A la fois délicieuse, et acide.

Malheureusement pour vous, ce n'est pas chez moi que vous découvrirez des bouleversements déchirants. Mon enfance a été des plus normales. Bien sûr, vous n'êtes pas très accoutumés à l'alcool polonais, la vodka. Pour la petite anecdote, oui, elle sert aussi bien de boisson pour se saouler, que de produit pour laver efficacement les carreaux. Mais ne craignez rien, en Pologne, c'est aussi traditionnel de faire boire ses enfants dès leur 16 ans, et s'ils refusent c'est qu'ils seront coincés. Ne vous avisez pas non plus de lever le pouce pour faire de l'auto-stop, personne ne vous prendra. Comme dans beaucoup de pays de l'est ou en Italie, c'est l'équivalent d'un doigt d'honneur.

Fille d'un affichiste, et d'une mannequin, ma vie a été banale. Oui, ennuyante à mourir. Ma mère était la deuxième femme de mon père. Je ne sais pas si c'est elle ou si c'est lui qui a demandé le divorce, mais ils se sont séparés peu après ma naissance. Peut-être qu'il ne supportait plus les deux caniches qu'elle trimbalait partout avec elle, et qui tremblaient comme des feuilles dès qu'elle les posait par terre. Quand elle avait le dos tourné, il les appelait « les sacs à mains » ou encore « la race coups-de-pieds ». Peut-être qu'elle ne supportait plus le fait qu'il s'enferme dans son atelier, à fumer comme un pompier, ou qu'il fasse sécher et se décomposer des pommes sur le radiateur, en clamant que « c'était de l'art conceptuel » et qu'elle ne pouvait pas comprendre. Enfin pour résumer, ça n'allait plus, et ils se sont séparés. Elle a eu la garde, alors il est parti s'exiler en Angleterre.

Ma mère s'en fichait que j'aille à l'école, mais j'y allais quand même. A 8 ans, elle se fichait que je sache additionner, au moins elle m'avait appris les marques de voiture par cœur. Et quand l'été, j'allais voir mon père, je pointais du doigt les bagnoles et je balançais leur marque. Et il soupirait, et il fumait. Il m'apprenait l'anglais, aussi. Du coup, quand je rentrais, je savais prononcer ces mêmes marques dans deux langues différentes. Vachement pratique. Je me rappelle que je refusais de me couper les cheveux, que j'avais peur que ça atteigne les neurones. Ma mère portait ses cheveux courts. Comprenez l'allusion.

J'ai eu des premiers amours. Et quand on rompait, je rentrais et je demandais toujours la même chose à ma mère : un nouveau vernis. Mais on s'arrêtait toujours aussi dans un café. Elle commandait un smoothie sans sucre, sans graisse, sans aspartame, sans pulpe, sans additifs, sans conservateurs. Sans goût, quoi. Et je lui racontais. Dans ces moments-là, elle lançait les plus gros jurons que j'ai jamais entendu. En disant que les hommes étaient tous les mêmes. J'aimais ma mère. Avec mon père, c'était moins glamour. Plus rustique. Il m'a emmené faire du camping sauvage, un jour. Pour les néophites, c'est du camping, sauf qu'on ne dort à un lieu qu'une seule nuit, le reste du temps on marche jusqu'à un autre camp. Quelques fois, faut descendre les rivières en kayak. Une nuit, j'ai sorti mon spray anti-moustiques, et il a soupiré. Et il a fumé. Quand il m'a ramené, j'avais de la boue dans les cheveux et sur le visage. Il disait fièrement que j'étais « son petit soldat ». Et ma mère pestait contre lui, en disant qu'il m'avait défiguré. Toujours à s'envoyer des pics.

Et puis, j'ai commencé à me lancer sur les jeux vidéos. Au début, c'était le classique « Simulation d'équitation » ou encore « Mon petit ami virtuel ». Je ne traînais qu'avec des garçons, et j'ai joué à des jeux de course, de guerre. Ils étaient impressionnés, je connaissais déjà les noms des voitures par cœur. Des potes que j'ai rencontré à ma fac d'arts plastiques. Et puis, le fameux jeu dont tout le monde parlait sortait. Je l'ai acheté. Et j'ai plongé.

Vous, moi. Nous avons tous plongé. Je ne savais pas si j'étais heureuse ou non. Je crois que j'aimais autant ma vie normale, que l'expérience que je vivais. Je décidais donc de tracer ma petite vie, en voulant finir le jeu, mais pas dans l'empressement. Un doute s'est enfoui en moi quand on a supprimé tout notre avancement. Des heures entières gaspillées. Déception, incompréhension, dégoût. Que mijotait le concepteur de ce jeu vidéo ? Il était temps de le découvrir.  

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