Par la fenêtre de ma chambre d'hôtel, je vois que le soir tombe doucement. Le ciel s'illumine d'un orange du plus bel effet. L'heure de mon rendez-vous avec Yian Xuan approche, pourtant je suis encore à l'intérieur. Je prends de grandes inspirations pour me calmer et reprendre courage. J'en ai besoin. L'explosion qui s'est produite m'a plus  troublée que je veux bien l'admettre. Pourquoi? Quel était le but derrière cet attentat ? Était-ce une machination de Cerberus ou des joueurs mécontents ? Très bonne question, mais en cet instant, je ne pourrai pas m'en ficher plus. Ce qui me dérange le plus, c'est évidemment l'incendie qui s'est déclaré dans la ville. Pour la première fois depuis des années, je me suis retrouvée face à mes peurs d'enfant. Comme si le temps ne s'était pas écoulé entre l'incendie IRL et celui-ci, j'ai réagi exactement de la même façon. Je n'ai pas changé. Ces années passées à essayer de me reconstruire n'ont servi à rien. Je suis restée prostrée ici pendant plusieurs heures.  Ce soir va être la première fois que j'ose mettre le nez dehors. Mais l'attrait d'un Insécateur est irrésistible pour moi.

Me faisant violence, je me lève de mon lit. Je fais un tour dans la salje de bains pour me passer de l'eau sur le visage, et je regarde le miroir en face de moi ; même sous mon avatar de couverture, je n'ai franchement pas bonne mine. La faute au manque de sommeil. Je n'ai pas pu dormir depuis l'explosion. Dès que je ferme les yeux, je revois les flammes. Cela ira probablement mieux dans quelques jours. Je crois que quitter Néréisia s'impose, j'en ai besoin. C'est ça. Je vais à Argon raccompagner Néméria, je repasse dans cette maudite ville et je retourne à Leonith rouvrir l'arène. Ma tournée s'est terminée, c'est le moment de me remettre au travail, et sérieusement cette fois. M'occuper va me faire du bien, je vais pouvoir penser à autre chose.Je me pince les joues pour donner un peu de couleur à ma peau bien trop pâle et me secouer, puis je sors et ferme à clé la porte de ma chambre. Là. Je ne peux pas laisser quelqu'un d'autre que Néméria voir ma faiblesse. Je dois me montrer forte.

Les rues de Néréisia sont silencieuses et vides à part les habituels PNJ inutiles. Après ce qu'il s'est passé, cela n'a rien d'étonnant. Mais on dirait que la ville a perdu son âme, c'est étrange comme impression. Après..je me fais peut-être des idées. Enfin, trêve de divagations,  me voilà presque arrivée à l'entrée de la ville où m'attend Yian Xuan. Je m'efforce de garder une démarche dynamique, sûre d'elle, outrageusement fière même. Comme je le fais d'habitude. Je fais semblant depuis si longtemps que me glisser à nouveau dans ce costume me paraît presque naturel. Sauver les apparences, c'est important. Vital même.

D'ailleurs le voilà, adossé à un mur. J'accélère le pas pour arriver à sa hauteur. Je suis probablement en retard, mais ce n'est pas comme si je n'avais pas de bonnes raisons. Raisons que je ne suis pas prête à lui avouer de sitôt d'ailleurs. Avec un peu de chance, il s'en doutera tout seul – Yian Xuan est loin d'être un idiot-, mais autrement, pas question que j'amène le sujet de ma faiblesse sur le tapis.

Peut-être que ma fierté est excessive et mal placée, mais tant pis.

« Bonsoir. », je fais finalement. Je suis calme, mais vigilante. Comme toujours.« Comment vas-tu ? »

Un silence s'installe. Comme je refuse que nous nous regardons en chien de faïence comme des idiots pendant un temps indéterminé, j'active mon inventaire pour faire apparaître la pokéball de Wattouat. J'active le bouton, et  le mouton électrique fait son apparition. Il me regarde d'un air curieux avant de frotter sa tête contre ma jambe. Ça, je peux dire qu'il est affectueux.

« C'est un mâle, de nature Timide. Ceci dit, j'ai pu voir qu'il se montre courageux et efficace en combat. De plus, il ne pose pas de problèmes pour obéir. »

Oui, je commence directement à vendre ma marchandise. Mais eh. De un, autant que Yian Xuan sache à quoi s'attendre avec son futur pokémon, de deux, je n'ai pas menti. C'est vrai que lorsque je l'ai capturé, il ne brillait pas par sa cervelle -la preuve, il a bêtement foncé sur ma Chinchidou -, mais l'entraînement a aidé à corriger ce point. Donc aucun souci de ce point de vue-là, je n'ai rien à me reprocher. Il est devenu un bon partenaire de combat, c'est l'essentiel.

Une voix se fit finalement entendre. Levant un sourcil, je tournais le regard vers la provenance pour apercevoir Antiope. Je terminais de tirer une bouffée de ma cigarette, avant d’en écraser le bout fumant pour faire cesser la perte de ce tabac virtuel, et éviter d’incommoder ma partenaire d’échange. Je ne suis pas autant un connard qu’on pourrait le penser.

« On fait aller…et puis, honnêtement, je pense pouvoir dire que c’est plus la forme qu’ici. » Répliquais-je, montrant la ville de Néréisa d’un mouvement de tête.

Mon visage avait une expression neutre, alors que je rangeais ma clope commencé dans son paquet pour finir de fumer plus tard. Il n’y a que Néméria que j’emmerde en lui fumant dessus après tout. Ainsi que toute personne qui ose faire son petit con avec moi.
Néanmoins, je remarque clairement que Antiope n’est pas aussi forte que la dernière fois qu’on s’est vu. D’après son dernier message, l’explosion a eut lieu en fasse d’elle presque. J’imagine que critiquer la faiblesse humaine serait mal vu dans l’immédiat.

C’est alors qu’elle sortit la bestiole. A la vue de ce fichu mouton, j’eus un léger sourire en coin. Certain qualifierait ça de rictus, mais les rares joueurs habitués à cotoyer mon avatar sauraient reconnaître une marque de contentement.
Pianotant sur mon interface, j’en sortais une ball à mon tour que j’ouvris. Une insecateur se montrant sous son plus beau jour.

« Une femelle…je pense que tu devrais apprécier pour la reproduction et l’élevage ainsi. Sinon, elle est docile. Je n’ai, cependant, jamais combattu avec. Ce n’est pas spécialement le genre de pokémon que je recherche, comme tu le sais déjà. »

Mon regard coula alors sur le mouton, le détaillant de haut en bas. M’approchant, je me mit à sa hauteur tout en jetant la ball de l’insecateur à Antiope. M’en fout que le pokemon insecte soit outré par mon acte, je détaillais ma future acquisition. Yao quittant sa ball pour s’enrouler autour de moi et faire son curieux en observant notre potentiel compagnon.

« Tu lui a donné un surnom ou non ? » Demandais-je alors, calmement.

Pas de remarques sur mon retard. J'apprécie. Je suppose que je me répète dans mon for intérieur, mais je n'ai vraiment pas besoin de ça. Ma vie est suffisamment en bordel en ce moment pour que je me prenne une réflexion de ce type. Me connaissant, j'aurais sûrement très mal réagi. En lui disant d'aller se faire voir pour l'échange, peut-être. Enfin, inutile de débattre  sur ce qui aurait pu être. J'apprécie surtout le fait que Yian Xuan éteigne sa cigarette, puisque je déteste cette odeur. C'est désagréable, ça donne mal à la tête..Enfin.

J'ai un rire sec en entendant sa réponse. Je ne peux pas m'en empêcher, c'est nerveux.

«Ouais, j'imagine. »Et je hausse les épaules. Sans rien ajouter.

Pour la première fois depuis des jours, je souris en voyant la femelle Insécateur sortir de sa pokéball. Fière. Potentiellement dangereuse. Tout en continuant de l'admirer, j'acquiesce aux dires de mon interlocuteur. Je suis contente qu'elle soit docile, ma Chinchidou me pose assez de problèmes quand elle a décidé de ne pas obéir. Heureusement qu'elle est presque inoffensive. Une Insécateur, en revanche, c'est une autre paire de manches. Ses faux sont tranchantes et dangereuses, je pourrais facilement  être blessée gravement si le pokémon insecte avait un coup de folie. Alors, apprendre que ce n'est pas une bestiole colérique prompte à ce genre de réactions, c'est déjà rassurant.

«Elle est belle.»Je commente simplement.

Peut-être que je suis dingue de penser ainsi, parce qu'un Insécateur est une machine à tuer. Mais je vois plus loin que ça. Je vois l'élégance des lignes de son corps, de ses élytres. La belle couleur verte de son armure.  La courbe de ses faux. Un tel pokémon est pour le moins impressionnant, et c'est ce que je veux.  Nos regards se croisent. Ne pas ciller, surtout ne pas ciller. Comme la plupart des pokémons, le fait de détourner le regard est un aveu implicite de frayeur. D'autant plus que face aux pokémons, il faut se positionner en leader pour se faire respecter, montrer une éventuelle frayeur me conduirait juste à me faire tourner en bourrique. Or, je n'ai pas peur. Je devrais, peut-être, mais je suis plutôt admirative.  Lentement, je tends la main vers la belle mante religieuse pour caresser sa tête. Elle se tend légèrement, avant de fermer paresseusement les yeux. Elle n'a probablement pas l'habitude d'être touchée ainsi. Je pense que nous nous entendrons bien, cependant.

Au moins, on dirait que Wattouat est au goût de Yian Xuan. Lui aussi l'a examiné sous toutes les coutures, et j'ai pu voir l'ombre d'un sourire. Je le connais assez pour savoir qu'il est ravi de sa nouvelle acquisition. De mon côté,j'attrape la pokéball qu'il me lance presque sans même y penser. Je suis contente que ce pokémon soit désormais à moi, vraiment. Je me tourne ensuite vers le Wattouat pour lui gratouiller l'oreille, comme il aime, avant de tendre la pokéball au ranger. Si je lui ai donné un surnom ?

«Non. Et toi, tu as donné un surnom à Insécateur ? »

Etant donné que je comptais échanger le pokémon électrique dès que possible, lui donner un surnom n'aurait pas été le bienvenu. C'aurait été créer trop de liens avec Wattouat. Non pas que je ne me sois pas attachée à cette bestiole, ceci dit ; mais je voulais éviter d'être trop triste en m'en séparant. Je suis néanmoins rassurée de savoir qu'il sera entre de bonnes mains.

Et bien, elle est vraiment ridiculement coincée…
J’observe d’un coin de l’œil, l’analysant alors qu’elle détaille sa nouvelle acquisition. Moi, j’attends sa réponse et acquiesce à la réponse. Réfléchissant déjà un surnom pour ce Wattouat. Faisant un geste de main, qui balaie le vent, en réponse :

« Je n’avais aucune intention de la garder… » Me contentais-je de dire, avant de simplement me laisser choir au sol.

Assis par terre, je m’étirais alors que le jour continuait de diminuer. Mon nouvel allié vint se glisser contre moi, et je passais mes doigts dans sa fourrure épaisse.

« Lei ji…Cela devrait te convenir. » Murmurais-je à ce compagnon qui pencha simplement la tête sur le côté en réponse.

Néanmoins, récupérant la ball, je validais par l’interface notre échange. Alors, j’ajoutais à Antiope…N’aimant pas spécialement la voir aussi chiante et coincée. Franchement, on dirait que c’est la fin du monde ! Tout ça pour une petite explosion où il n’y a eu aucuns morts…

« Un duel, ça te tente ? Je ne crois pas qu’on se soit déjà réellement affronté, toi et moi. Et puis, te voir dans cet état commence à m’énerver. Ce n’est pas dans ton habitude de rester aussi raide, presque apeurée. Et ça m’ferait chier qu’une personne que je respecte devienne aussi chiante. »

Mon ton est coupant, et mordant. Je dis ce que je pense, sans passer par quatre chemins. Que je la vexe ? Je m’en fous, j’aurais dit ce que je pense. Je ne suis pas là pour écouter les pleures de dépressifs en devenir, et encore moins pour être compatissant. Mieux, envoyer moi un dépressif je lui fais passer l’arme à gauche pour avoir la paix, juste avec des mots !

Me relevant, j’époussetais mon pantalon avant de passer ma main dans ma nuque. Là, j’ancrais mes yeux vert-noir dans ceux de son avatar. Un rictus glissa sur mon visage alors que j’ajoutais, provocant :

« Ah moins que tu n’ais désormais peur de perdre ? »

Apparemment, il a fait comme moi. Capturer un pokémon pour mieux l'échanger plus tard. En même temps, avec un pokémon comme Insécateur, il aurait été étrange qu'il ne trouve pas de partenaires d'échange. Idem pour moi. Wattouat est loin d'être un mauvais pokémon. Je n'imaginais cependant pas trouver un acquéreur si vite, moins de deux mois après l'avoir capturé. L'intérêt d'avoir un « réseau social », je suppose ? Oui. D'avoir quelqu'un qui pense à moi. Rien que ça, c'est agréable. C'est vrai quoi, il aurait pu vendre son pokémon au lieu de vouloir l'échanger, je sais que plusieurs personnes ne se gênent pas pour le faire par ici. C'est un peu pour ça que cette banque existe, d'ailleurs. Bon maintenant, comment vais-je appeler ma belle femelle Insécateur...Quelques noms me passent par l'esprit sans pour autant réellement retenir mon attention. Pas assez noble, pas assez agréable à l'oreille, mes critères de sélection balaient littéralement toute les idées que je pourrais avoir. Je commence à devenir nerveuse. J'aime baptiser mes pokémons le jour de leur acquisition, cela donne une base pour créer un futur lien par la suite, singulariser mes pokémons...Et là, rien. Allons, j'ai plus d'imagination que ça..Voilà, je crois que j'ai trouvé. Artémise. Un nom de reine. Cela lui va bien.

Notre rencontre prend une tout autre tournure lorsqu'il prend un ton qui ne me plaît pas. Incisif. Tranchant. Plein de reproches peut-être. Oui je ne suis pas dans mon état normal, ça crève les yeux. Et alors ? Ça lui pose un problème ? Qu'il se mêle un peu de ses affaires ! Qu'est-ce qu'il sait de moi, de ce que j'ai traversé ? De quel droit se permet-il de me juger ? Je sens la colère gronder en moi, comme une nouvelle énergie. Là tout de suite, maintenant, j'ai envie de lui coller mon poing dans la tronche. Quand on me cherche, on me trouve, et il va vite apprendre cette leçon. Je rappelle Artémise dans sa pokéball, je croise les bras et lui crache presque au visage :

«Peur de perdre ? Va te faire !  »

Oui, je suis définitivement de retour, impulsive, colérique, susceptible comme pas deux.. La vulgarité en prime, pour le meilleur et pour le pire. C'est ainsi qu'on me connaît. C'est ma marque de fabrique, même. Je crois que j'avais besoin qu'on me provoque de cette façon, qu'on me rappelle que je ne suis pas la chiffe molle qui s'est effondrée après l'explosion. Je vais lui faire regretter son air arrogant et provocant qui me donne envie de le frapper. Je le jure, je l'apprécie d'habitude, mais ce soir il a dépassé les bornes. Il s'est mêlé de ce qui ne le regarde pas. Je ne le juge pas, alors qu'il ne me juge pas, bordel de merde !  Une idée me vient en tête. Et s'il m'avait provoqué pour me faire réagir – donc avec de bonnes intentions parce qu'il pourrait, ô miracle, s'inquiéter pour moi ? Conneries. Ça n'excuse pas son attitude de connard arrogant qui le caractérise tellement.

« Va pour un match !  Si ça peut te faire fermer ta grande gueule !»

Je sors ma première pokéball et l'enclenche, faisant jaillir mon premier pokémon.

L'heure du duel a sonné.

Lien du match

La colère vint remplacer le malaise de son visage. Profitant du fait de me relever, j’avais la tête basse, et je glissais un fin sourire fugace. Mes cheveux et l’angle de ma tête devant cacher cette brève preuve de sollicitude de ma part. Et, surtout, ce qui lui aurait permis de comprendre que je l’ai provoqué sciemment pour la réveiller d’une façon plus radicale qu’une paire de gifles.
Debout, je sortais une cigarette alors que je me mettais un peu en retrait. L’allumant, j’attrapais une ball à ma ceinture.

« J’attends de voir ça… » Répliquais-je, moqueur, mon attitude habituelle. Mon comportement de provocation…

J’envoyais Bian en premier. Je devais absolument gagner avec lui. Afin d’attiser sa colère, et lui faire perdre ses moyens. Mieux, afin de lui montrer qu’elle est plus faible aujourd’hui que normalement. Lui faire perdre son premier Pokémon avec le miens, à tout prix.
Mes ordres étaient implacables pour mes pokémons, et pourtant, je n’ai jamais parlé plus fort que normalement. Mes ordres étant même, parfois, plus proches du murmure soufflé que d’une voix hurlée et portée dans le vent.

« C’était du beau boulot, Bian. » Murmurais-je, alors que je rappelais mon Malosse à moi.

Envoyant Qiyi, j’usais de sa poudre toxique pour la switcher ensuite avec mon gentil « sacrifice ».

« Occupe-la, Dashui… » Murmurais-je, avant de tirer sur ma cigarette pour en tirée une bouffée.

Une main dans la poche, mes yeux scrutaient attentivement le combat. Je fumais ma cigarette tranquillement, alors que ma chère adversaire ne se rendait pas compte de la perte engendré par son acharnement sur mon « faible » magicarpe. Il a enduré au moins trois ou quatre tours avant de périr…et son fichu plumeau est bien atteint par le poison de Qiyi. Je suis confiant, et un sourire en coin le prouve.

Envoyant Bi, j’avais l’intention d’achever son pokémon. Mais elle switcha alors que je voulais encore affaiblir son pokémon. C’est la précision d’un riolu qui fut affecté. Merde…un type combat. Je rappelais Bi, et envoyais de façon nonchalante Qiyi.
Antiope sous-estime les changements d’états, j’en suis désormais certain. Aussi, poudre toxique frappa à nouveau.

Je gardais la tête froide. Et lorsqu’un de ses pokémons tombaient, je me contentais de sourire avec provocation. Mais même quant les miens chutaient, je gardais un rictus sur le coin des lèvres et terminais ma cigarette. Imperturbable. Je veux qu’elle se réveille. Qu’elle redevienne la fille au caractère ardent, brûlant, vif et fort. Que le sang lui monte à la tête, et qu’elle arrête d’agir comme une sous-merde.

Nous arrivâmes alors au tournant du combat. Wattouat contre Insécateur. Mon ancien pokémon, contre son ancien pokémon.
En toute franchise, j’ai largement joué sur le type. Son pokémon avait été touché par le jet de sable de Bi…et la cage-éclair le maintenait. C’est ce qui me permit d’exploiter l’attaque éclair et sa nature « super efficace » contre les pokémons volant tel qu’insécateur.

J’avais mené ce combat dans l’ordre que je voulais. J’avais fait combattre les types que je souhaitais contre les siens. Yao contre son poussifeu. Lei Ji contre son insécateur. Et j’étais, surtout, resté provocateur jusqu’au bout.
Alors que je l’achevais, ma cigarette se termina. Le combat avait été rude, mais je l’avais gagné. Rappelant Lei Ji dans sa ball, je rangeais mon mégot et m’avançait vers l’avatar de la vaincue.

« J’ose espérer que ta défaite n’ait dû qu’à la colère, et non à une peur quelconque… »

La choppant au col, même si je suis un chouilla plus petit qu’elle, je la tirais vers moi de façon à ce que nos visages soit proches l’un de l’autre. Là, les yeux froids et fermes, le ton sec, j’ajoutais :

« Continue de vivre dans la peur, et je t’exploses encore Antiope ! Je n’ai pas souvenir d’avoir accordé mon intérêt à une lâche… »

Je préfère encore que tu me haïsses, plutôt que tu sois une loque, bordel. Mais je me contentais de la relâcher, passant ma main dans ma nuque endoloris. Mine de rien, j’ai eu des frissons avec ce combat. Si elle n’avait pas sous-estimé l’attaque draco-rage…ou encore, si elle avait échangé son chinchidou rapidement contre mon magicarpe : elle aurait put gagner ! Non, elle aurait gagné…

...Qu'est-ce-que j'ai fait ? Qu'est-ce que j'ai fait ?

C'est qui, cette nana qui combat comme un pied et accumule les erreurs de débutant ? Qui ne se rappelle plus que Coud'Main n'est utile qu'en combat en double et qui en plus confond cette attaque avec Relais ? Qui tombe dans un piège énorme ? Parce que se faire empoisonner, d'accord,  ça arrive, c'est normal, mais perdre inutilement des Pvs face à un Magicarpe qui ne peut même pas attaquer, il faut le faire ! Qui est trop terrifiée par le fait que Germignon soit du type plante pour envoyer Griknot alors qu'il aurait pu le terminer en une Draco-Rage ? Qui au final se trouve manipulée comme un pantin pour finir sur un combat perdu d'avance, Insécateur contre Wattouat ? Qui manque de hurler de frustration parce que la-dite Insécateur se fait paralyser par une Cage-Eclair et manque de fait deux attaques qui auraient pu renverser le cours du match?

Une loque. Moi. Je suis une loque depuis l'attentat, j'ai peur de tout et de tout le monde. J'ai peur de moi-même. Je veux mourir. J'aurais mieux fait de ne pas sortir ce soir, tiens. Ou me retirer tout de suite après l'échange pour ne pas lui donner l'occasion de me coincer pour faire un combat comme il l'a fait. Oui..c'est ce que j'aurais du faire. Je sens les premières larmes me monter aux yeux. Merde, merde, merde. Je commence à craquer. Pas maintenant, pas face à lui. J'ai l'impression de tomber à travers les ténèbres, dans un puits sans fond. J'essuie mes larmes bien vite, il n'a pas à savoir qu'il m'a fait pleurer. Moi. Pleurer. Deux termes qui paraissaient auparavant tellement antinomiques. Mais depuis l'attentat, je ne suis que l'ombre de moi-même, une coquille vide. Je passe mon temps à pleurer et à me recroqueviller sur moi-même comme un animal blessé qui attend qu'on l'achève.

Le seul point positif que je vois, c'est que là, j'ai touché le fond puisque même le combat pokémon qui est censé être ma spécialité me fait défaut. Donc en théorie, je ne peux que remonter..Non ? Ou alors je peux encore creuser. Ma vie me glisse entre les doigts d'une manière hallucinante, j'ai l'impression de me noyer. Je me débats, mais sans succès. Je replonge. Je coule à nouveau. J'étouffe. Je...ne sais plus ce qu'il m'arrive.  Et ça aussi, ça me fait peur ! J'en ai assez d'être la caricature de ce que j'ai été, mais je ne sais pas quoi faire pour m'en sortir !

Mais qui entendrait ce cri silencieux ?

Yian Xuan m'attrape par le col et me tire vers lui, nos visages se frôlant presque. Et me secoue comme un prunier. Ses mots frappent, me blessent, comme s'il utilisait une mitrailleuse contre moi. Mon corps est agité de soubresauts. Non non non, je ne vais pas ENCORE pleurer !

C'est finalement quand il me traite de lâche que j'explose. Je l'attrape par le col, le jette contre le mur le plus proche et me précipite sur lui pour lui foutre un magnifique crochet du droit. J'ai fait attention de doser ma force  pour ne pas lui casser une dent, mais il a du le sentir passer. C'est plus fort que moi, je lui colle une deuxième mandale et je hurle :

« La ferme ! La ferme ! De quel droit tu me juges ? Mais qu'est-ce que tu sais de moi, hein ?  Toi aussi, tu serais dans cet état après un incendie si tu avais peur du feu ! »

Les mots sortent de ma bouche sans que je puisse les retenir, occupée à déverser ma bile contre lui. Je veux qu'il comprenne. Ce n'est qu'après avoir prononcé les mots « peur du feu » que je réalise ce que j'ai fait, et mon poing retombe de lui-même le long de mon flanc. Merde, merde et encore merde. Je lui ai révélé mon secret. Ma faiblesse. Ce dont j'ai le plus honte.

Et je ne sais pas si c'est une bonne chose ou non.

Je la provoquais, avec des mots que je savais choc et violent. Je suis loin d’être un idiot. Et quand je connais un peu une personne, je peux dire si elle est comme la majorité des connards qui m’insupportent, ou non. Mais encore plus que les connards, il est un genre de personne que je ne supporte pas. Ceux qui se morfondent…car je me revoie, lorsque j’ai commencé ma vie. Je me revoie, lorsque je me suis enfermé…sans trouver la force de sortir à nouveau. Sans en trouver le courage. Et je déteste cette réalité.

Aussi, lorsque son crochet du droit part, et que je me le mange en plein visage…Je suis propulsé contre le mur par l’impact. Ma lèvre saigne, et j’ai un arrière goût de fer dans la bouche. Néanmoins, mon regard ne la quitte pas un instant.
Une deuxième droite arrive. Je n’esquive pas. Je me la mange de plein fouet. Je préfère lire de la colère et de la haine que ce que je voyais avant. Et si le choc de ma tête contre le mur me fait lâcher un grognement rauque, de douleur, je m’empêche de fermer les yeux. Mon corps tremblant sous l’effort et la douleur, et du fait que j’encaisse sans vouloir laisser agir mes reflexes musculaire de protection.

Alors, les derniers mots retentissent. Je vois le poings qui se baisse. Je comprends qu’elle doit ressentir de l’horreur d’avoir dit ce qu’elle a dit. En tout cas, me dégageant. Je fais craquer mes cervicales. Et là, la fusillant du regard, je lui balance :

« C’est bon ? T’es calmée maintenant ? »

J’essuie le sang qui perle sur mon visage depuis ma lèvre, crachant un peu de sang qui se mélangeait à ma salive. Voyant qu’elle est comme paralysé, je soupire avant de lui balancer :

« T’a peur du feu, et alors ? Ce n’est pas comme si tu le découvrais, non ? Alors cesse de te morfondre et pense à autre chose. T’a qu’à aller te promener sur les plages de Néréisia ou t’isoler sur un ilet en plein milieu de l’océan Poseïdo. Toujours se répéter en boucle les trucs qui font peur et se cacher derrière cette excuse, c’est pourri comme attitude. Et le pire, c’est que tu le sais et qu’au final, tu t’apitoies. Sans même combattre… »

Me détournant d’elle, avançant vers la ville dans l’objectif d’aller faire soigner mes pokémons…Je murmurais, sachant qu’au vu du silence elle m’entendrait.

« Et après, on se demande pourquoi ça m’fait chier de traîner avec des humains, hein ? Tsss…Hoy, tu viens ? Tes pokémons ont besoin d’soins, non ? » Vins-je à ajouter, me tournant vers elle.

Alors que j'étais presque calmée, agacée contre moi-même peut-être, la réplique du ranger me donne envie de le frapper, encore. Il ne sait rien. Rien de mon passé, rien de l'incident qui m'a presque tuée, des longs mois passés avant que mes brûlures ne cicatrisent et ne me donnent mon apparence inhumaine. Rien des années de moqueries, de réflexions blessantes, d'injures, de sales coups dans les couloirs. Pas plus que de l'agression que j'ai subie, qui a détruit le peu d'amour-propre qu'il me restait à l'époque.

«Ouais. Allons-y » »je marmonne entre mes dents avant de le suivre dans les rues de Néréisia. Ma démarche est raide, retenue. Mal à l'aise, c'est évident. Il me juge sans me connaître vraiment, mais de l'autre côté, est-ce que j'ai envie qu'il sache à propos de l'incendie ? Je ne sais pas.

Ces pensées tournent et retournent dans mon esprit. Est-ce que ce que Yian Xuan est quelqu'un qui vaut le coup de tout lui avouer ? Puis-je lui faire confiance ? Puis-je être sûre qu'il n'ira pas le répéter ? Mais l'idée qu'il se fourvoie à ce point sur mon compte..ça m'est insupportable. Ca m'énerve. Et je ne peux m'empêcher de me dire que si Seth me voyait, là, maintenant, il ne reconnaîtrait pas la personne pleine d'audace et de fierté qu'il a embrassée le jour du reset. Finalement, je soupire. Peut-être qu'en parler me fera du bien, au fond. A défaut de changer son jugement sur moi, avouer la vérité me libérera. Ce n'est pas..comme s'il connaissait mon apparence IRL. Quand on me voit, on devine ce que j'ai vécu. Ici, non. Je n'allais pas recréer mes cicatrices qui me pourrissent la vie en temps normal.

«Et pour ta gouverne, ce n'est pas une simple peur du feu. C'est pire que ça. Un véritable traumatisme.»

Je lui jette un coup d'œil, surveillant ses réactions. Qu'il ose se moquer, et je lui refous un pain dans sa sale tronche.

«Quand j'étais petite, j'ai failli mourir dans un incendie qui m'a aussi défigurée. C'est de là que vient ma peur du feu. Et pendant l'attentat..revoir un incendie..ne m'a pas fait exactement du bien. Ça m'a..secouée. J'ai eu l'impression de revivre ce jour-là...et fait une crise de panique.»

Je n'en reviens pas de pouvoir parler d'un ton si froid, presque détaché, de ce qui m'est arrivé. Fut un temps, j'aurais sûrement fondu en larmes. Pas aujourd'hui. J'ai suffisamment pleuré le jour de l'attentat. Après, peut-être que j'aurais peut-être du foutre le camp avec Néméria, au lieu de rester dans cette ville..Mais je doute que ça aurait vraiment changé quelque chose. Les souvenirs sont traîtres. Ils ne me lâchent pas. Me hantent jour et nuit. Mais cela, je ne peux pas le dire. Qu'il le devine lui-même. Il y a des choses que ma fierté m'interdit de révéler.

Après, j'aimerais qu'il comprenne un peu ma situation, à défaut d'approuver mon attitude. Juste ça, ça serait bien. Mais je ne m'attends pas à des miracles, Yian Xuan n'est pas exactement connu pour son sens de l'empathie. Il ne peut pas comprendre ce que j'ai traversé. Une fois de plus, ce n'est pas lui qui s'est réveillé avec sa chambre en train de brûler autour de lui, qui a senti les flammes brûler sa peau. J'ai d'ailleurs entendu dire que si du feu entrait en contact avec une peau déjà brûlée, ça faisait deux fois plus mal, voire plus. J'ai déjà vécu l'enfer de ce point de vue-là, je ne veux pas connaître à nouveau ça. Il y a des limites à ce que je peux endurer.

Mon regard s'égare dans le ciel, au-dessus de nous, et je pense malgré moi à mes parents. Est-ce qu'ils savent que je suis coincée ici ? Est-ce qu'ils viennent me voir à l'hôpital, moi, l'objet de leur honte depuis que j'ai été défigurée ? Je pense que non. C'est..dommage, je suppose ? Peut-être. Mais malgré la situation, je suis quand même bien mieux ici que je ne l'ai été dans la vraie vie. D'ailleurs, j'ai l'impression que le simple fait de me faire cette réflexion prouve déjà que je vais un peu mieux. Oh, mais j'irai mieux. Il me faut juste un peu de temps. Du temps, et de la patience. Et..peut-être me forcer à côtoyer des pokémons feu – les miens par exemple -  plus souvent ? Parce qu'une chose est sûre : plus jamais je ne veux me retrouver aussi démunie face au feu.